Quel rôle joue l’IA dans le dépistage du cancer du poumon ?
Mind Health
Avec 53 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année, le cancer du poumon est le plus meurtrier en France, selon les données de l’Institut national du cancer. Les trois quarts des cas sont détectés à un stade avancé, ce qui réduit les chances de guérison. L’intérêt du dépistage est donc crucial. Et dans ce domaine, le couplage du scanner low dose et de l’intelligence artificielle a fait ses preuves. Comment s’intègre cette technologie aux stratégies de dépistage ?
De vastes études multicentriques randomisées menées en Europe et aux États-Unis, telles que NLST et NELSON, ont démontré que le dépistage structuré du cancer du poumon par tomodensitométrie (ou scanner) à faible dose réduit la mortalité par cancer du poumon d’au moins 20 % chez les personnes à haut risque. “La connaissance la plus établie concernant le cancer est le lien direct entre le stade de progression de la maladie et les chances de guérison du patient. Tous les cancers de stade 1 sont curables. Les progrès réalisés dans le domaine de l’immunothérapie et des thérapies ciblées restent marginaux. Actuellement, ce sont les programmes de dépistage qui constituent la principale voie de guérison des cancers”, affirmait Fredrik Brag, directeur général et cofondateur de Median Technologies, lors d’un point presse début novembre.
La medtech française se lance sur le marché du dépistage à travers une solution logicielle d’aide au dépistage du cancer du poumon qu’elle développe, eyonis LCS. Ce dispositif médical, qui attend sa validation réglementaire aux États-Unis et en Europe pour être commercialisé, intègre des fonctionnalités de détection (CADe) et de diagnostic (CAdx) des nodules pulmonaires.
Fredrik Brag, directeur général et cofondateur de Median Technologies
Pour Fredrik Brag, “l’enjeu majeur” du dépistage organisé du cancer du poumon réside dans la gestion des faux positifs. “Près d’un tiers des patients de plus de 50 ans présentent des nodules pulmonaires, qui sont souvent bénins et pas forcément cancéreux, comme des calcifications, dit-il. Ainsi, la capacité à poser un diagnostic fiable dès le premier examen est cruciale pour limiter ces faux positifs, les coûts et l’anxiété qui en découlent”.
L’efficacité de l’IA est démontrée
Le modèle d’IA sur lequel repose la solution de Median Technologies a été entraîné sur un immense corpus de données annotées, incluant le suivi des patients sur plusieurs années et l’historique de leur traitement. La technologie a été cliniquement validée à travers deux études menées aux États-Unis.
Ces résultats vont de pair avec l’idée, répétée par les spécialistes, que l’efficacité du scanner low dose associé à l’intelligence artificielle n’est plus à prouver. L’IA peut aider le radiologue à établir une corrélation entre l’image et l’information diagnostique. “Les études initiales démontrant le bénéfice médical du dépistage s’appuyaient sur une double lecture humaine, un processus très lourd. Les solutions d’IA actuelles basées sur le deep learning ont considérablement progressé et génèrent peu de faux positifs. Certains pays, comme la Croatie et l’Angleterre, ont déjà franchi le pas en intégrant l’IA pour supprimer la nécessité d’une seconde lecture humaine (cf. encadré). Cette approche permettra de réduire la charge de travail à un seul lecteur humain, la seconde lecture étant confiée à une solution d’IA” estimait le Pr Marie-Pierre Revel (AP-HP), interrogée par mind Health en marge des JFR 2025.
Pour Fredrik Brag, “la plus grande évolution ne réside pas uniquement dans l’IA elle-même, car des algorithmes sophistiqués existaient déjà il y a deux décennies. Ce qui a changé, c’est la capacité de calcul actuelle. Aujourd’hui, l’analyse d’un patient se fait en quasi temps réel, ce qui permet d’itérer sur les modèles pour améliorer constamment leur performance”.
Media Technologies atteint une “justesse de 98% dans la détection et la caractérisation des cancers”, précise Fredrik Brag. L’évaluation du test diagnostique est basé sur deux indicateurs : la sensibilité (qui mesure la capacité du test à identifier correctement tous les cas positifs) et la spécificité (qui vise à minimiser le nombre de faux positifs). Déterminer une “valeur prédictive positive” consiste donc à trouver le juste équilibre entre ces deux critères. La crainte avec cette méthode, résume Fredrik Brag, est de “faire du surdiagnostic et de détecter des anomalies sans les comprendre”.
Les États-Unis organisent le dépistage
Les États-Unis est le marché le plus attractif aujourd’hui pour les sociétés d’IA spécialisées dans le dépistage du cancer du poumon car c’est l’un des premiers pays à avoir déployé une stratégie de dépistage organisé. Le programme de dépistage américain annuel par scanner à faible dose cible les adultes de 50 à 80 ans avec un historique tabagique, sur la base des recommandations du groupe de travail américain sur les services préventifs (USPSTF). “Actuellement, 15 millions de personnes sont éligibles à ce dépistage, dont le remboursement est pris en charge par le gouvernement”, indique Fredrik Brag.
Depuis 2022, l’utilisation de l’IA pour l’analyse d’images médicales de scanners à faible dose est éligible à un code de remboursement de 650$ par scanner, accessible pour tous les centres d’imagerie américains réalisant cet examen. Cette voie économique intéresse les entreprises comme Median Technologies qui projette de se lancer sur le marché américain, même si pour l’heure, “seule une solution de dépistage fortuite bénéficie de ce code de remboursement”, précise Fredrik Brag. Il s’agit de la technologie d’Oatmeal Health.
D’autres entreprises étrangères veulent également leur part du gâteau. Ainsi, la société sud-coréenne Coreline Soft a scellé en septembre 2025 un accord de développement avec la société américaine Oatmeal Health. L’objectif est de codévelopper un produit intégré “CADe-CADx”, qui combine “le moteur de détection de nodules par IA de Coreline Soft avec l’algorithme de prédiction de la malignité d’Oatmeal Health”.
À noter que Google Health s’est également lancé il y a quelques années dans le dépistage du cancer du poumon, bien que la firme de Mountain View n’ait “pas velléité à développer des dispositifs médicaux” affirme Fredrik Brag. Google a commencé par développer en 2019 des modèles d’IA pour la détection du cancer du poumon, puis a publié une étude comparée rétrospective aux Etats-Unis et au Japon sur la manière dont les modèles de machine learning peuvent communiquer efficacement leurs résultats aux radiologues.
Pour Median Technologies, le marché potentiel que représente le dépistage du cancer du poumon aux États-Unis est estimé à “2,9 Mds $ par an” estime Fredrik Brag, qui espère y trouver rapidement un retour sur investissement pour son dispositif eyonis LCS, dont le développement a coûté près de 50 millions d’euros.
Un programme pilote démarre en France
En France, un programme pilote de dépistage des cancers du poumon, nommé IMPULSION, a été dévoilé en janvier dernier par l’INCa. Le projet de recherche est coordonné par le Pr Marie-Pierre Revel (AP-HP) et le Pr Sébastien Couraud (HCL). Il a pour objectif d’évaluer les conditions optimales pour le déploiement généralisé du dépistage organisé en France. Les premières inclusions devraient débuter d’ici la fin d’année.
Coreline Soft a été choisie le 11 novembre dernier comme fournisseur exclusif du logiciel d’IA pour cette étude pilote. La plateforme AVIEW de Coreline Soft sera déployée sur plus de 100 sites. Coreline Soft dirigera également la formation des utilisateurs avec la Société Française de Radiologie.
L’INCa financera le projet à hauteur de 6 M€, la Sécurité sociale remboursera à 100% les scanners pendant toute l’expérimentation. “Les critères d’éligibilité, la durée, la fréquence, le nombre de clichés, les critères de suspicion radiologique, l’apport de l’IA, ainsi que l’impact économique et organisationnel et le retentissement sur l’offre de soins pour les autres patients feront l’objet d’une analyse approfondie. Notre objectif est d’apporter des réponses aux questions qui freinent l’élargissement du projet de dépistage. Ces questions portent notamment sur l’inclusion des participants, l’identification des biomarqueurs pertinents, la transition vers l’utilisation d’une dose d’irradiation ultra-faible et l’exploitation des bases de données d’images” avait détaillé le Pr Norbert Ifrah, président de l’INCa, lors du lancement d’IMPULSION.
Des programmes de dépistage à travers le monde
Des programmes de dépistage par scanner à faible dose ont déjà été mis en place dans plusieurs pays comme la Croatie, l’Italie, l’Angleterre et l’Australie.
En Asie, des plans de dépistage ont par exemple été instaurés au Japon, en Corée du Sud et en Chine. Chaque pays a son modèle. “Au Japon, les employeurs financent actuellement un dépistage annuel pour le cancer du poumon et du sein, avec l’intention d’étendre cette couverture à d’autres types de cancers. La Chine montre également une progression très rapide dans ce domaine. L’absence d’infrastructures préexistantes, qui constituent le “legacy”, permet de démarrer de zéro et de lancer à grande échelle des programmes de dépistage” souligne Fredrik Brag.
En Europe, la Croatie a été pionnière en la matière en lançant un programme national en 2020. L’Angleterre a également démarré un programme de dépistage. L’Allemagne s’apprête à son tour à lancer un programme en avril 2026, un décret gouvernemental y a défini des critères similaires à ceux utilisés dans l’essai néerlando-belge NELSON.