Les prix bas, cause des ruptures d’approvisionnement
Actu Labo
Les préjugés sont tenaces. Les ruptures d’approvisionnement ne concernent pas uniquement les médicaments commercialisés par les big pharmas. Accablés par des prix de marché trop bas, les laboratoires français de spécialités de taille plus modeste sont souvent contraints de réduire leur production. Et le cas échéant de retirer des produits du marché alors qu’ils commercialisent près de 40 % des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM).
Il faut tordre le cou aux préjugés. Les ruptures d’approvisionnement de médicaments du répertoire, un phénomène qui ne faiblit pas – 39 % des patients français ont ainsi été confrontés en 2023 à une non-disponibilité de produits de santé –, ne s’appliquent pas exclusivement aux médicaments délivrés par les grands laboratoires. « C’est même plutôt le contraire, nous explique Karine Pinon, présidente de l’Amlis, l’association qui fédère les PME françaises de santé. Nous comptons une cinquantaine d’adhérents, mais on dénombre quelque 160 entreprises du même type sur le marché. Et elles commercialisent 36,7 % des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) consommés par les patients français, ceux-là même qui manquent le plus à l’appel ».
Il s’agit principalement de produits matures indiqués dans le traitement de maladies chroniques comme le diabète, la maladie de Parkinson ou les affections cardio-vasculaires. Rappelons que ces produits listés dans le code de la santé publique doivent, en principe, disposer d’un stock minimum de sécurité de quatre mois. Mais cet objectif imposé par la réglementation s’avère manifestement inatteignable. « Je souhaite faire un mauvais sort à l’idée selon laquelle les causes des pénuries de MITM seraient multifactorielles, comme le prétend souvent le Leem, s’irrite Karine Pinon. Ce qui est à l’origine de ces ruptures, c’est naturellement et quasiment exclusivement un prix trop bas ».
C’est d’ailleurs l’un des enseignements principaux d’une étude récente a été commandée au GERS par l’Amlis et qui porte sur le profil des médicaments en pénurie : ce travail d’identification et de caractérisation a fait ressortir que 50,4 % des problèmes d’approvisionnement se concentraient sur des présentations dont le PHFT (prix fabricant hors taxe) était inférieur à 5 €. Rapporté au nombre de boîtes, la proportion monte à 83,5 % pour celles qui sont vendues également à moins de 5 €.
L’étude nous apprend aussi que 77,9 % des molécules ont été lancées depuis plus de vingt ans. « Pourtant, près de 25 % d’entre elles ne sont pas génériquées. Tout simplement parce que les volumes concernés sont trop modestes et les prix appliqués sur les produits princeps trop bas. Ça ne coïncide pas du tout avec le modèle des génériqueurs qui ont tendance à passer leur chemin », observe Karine Pinon, également directrice générale du laboratoire X.O. Elle note également que plus de 65 % des produits délivrés par ces ETI de santé sont réservés au marché français, « ce qui atténue grandement la portée de l’argument qui stipule que, pour faire leur pelote, les laboratoires français écouleraient en priorité leurs médicaments à l’export où ils bénéficieraient de conditions plus favorables. Une pratique qui aurait pour conséquence d’aggraver les tensions d’approvisionnement sur le marché domestique. Ce n’est pas exact », poursuit la présidente de l’Amlis. Pour cette dernière, le sujet ne souffre aucune contestation, c’est bien « le trop faible niveau des prix, ajouté à l’inflation sur les coûts de production – compris entre 10 et 20 % –, qui explique l’approfondissement de la crise des approvisionnements ».
Les industriels, contraints parfois de devoir produire à perte, préfèrent s’abstenir, « et qui pourrait les blâmer ? », s’exclame Karine Pinon. Cette décision de simple bonne gestion les amène parfois à retirer tout simplement le médicament du marché après avoir dépensé beaucoup de ressources financières dans la constitution de surstocks. Ces retraits ont notamment récemment concerné des antibiotiques, des produits qui revêtent un intérêt thérapeutique majeur. Philippe Truelle, le pdg de CDM Lavoisier, une PME de 18 M€ de CA et 130 salariés qui exploite une usine spécialisée dans les formes stériles dont une bonne part de MITM (anesthésiques, antibiotiques, vitamine B12), a été confrontée à l’explosion des coûts de production. « Depuis quatre ans, nous sommes impactés par la forte inflation du coût de certains composants et de l’énergie. Depuis 2023, la facture d’électricité de l’entreprise a ainsi été multipliée par 3, celle de gaz par 2,5. Et je rappelle que nous formulons et conditionnons des produits critiques pour la ville et l’hôpital dont, parfois, le prix ne dépasse pas quelques dizaines de centimes l’unité ».
Dans ce contexte, l’augmentation de 10 % des prix accordée par la régulation au laboratoire en fin d’année 2022 a constitué « une véritable bouffée d’oxygène », concède Philippe Truelle qui reconnaît toutefois avoir dû sortir des produits du catalogue pour maintenir la rentabilité du laboratoire. « C’est déjà très compliqué de conserver un produit qui n’a que quelques points de marge. Le seul maintien d’une AMM génère beaucoup de coûts fixes », estime le dirigeant de cette entreprise située à La Chaussée-St-Victor, près de Blois (41). Mais d’autres menaces sont venues hanter le quotidien des chefs d’entreprise. Le spectre de la clause de sauvegarde – du nom de cette contribution versée collectivement par les laboratoires lorsque leur CA dépasse les objectifs de dépenses fixés par la loi de finances de la sécurité sociale – constitue désormais une véritable bombe à retardement : « Son montant a explosé pour atteindre 1,6 Md€.
Pour un laboratoire comme CDM Lavoisier, elle pourrait représenter 9 % du CA au titre de l’exercice 2023, contre 2,94 % en 2021… et 0,5 % en 2019. C’est évidemment insoutenable », reprend Philippe Truelle. « Compte tenu des éléments que nous venons d’énumérer, j’espère que le gouvernement et les parlementaires auront la sagesse de revenir sur le milliard d’euros de nouvelles baisses de prix évoquées dans le cadre du PLFSS 2025, s’émeut Karine Pinon. Si elles étaient malheureusement confirmées, ces mesures exposeraient inéluctablement les patients français à de nouvelles ruptures ».